Portrait présumé de François Fournier de Servant par Louis Tocqué

Louis Tocqué (1696-1772), Portrait présumé de François Fournier de Servant. Huile sur toile, 100 x 82,5 cm. Hôtel de Lunas (Montpellier) © Hervé Lewandowski / Centre des monuments nationaux

Œuvres en rapport

Le genre du portrait connaît un grand succès dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : une large élite sociale souhaite conserver une image d’elle-même. Lors du Salon de 1769, exposition publique réunissant au Louvre les créations des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, le genre du portrait domine largement comme le dénonce le critique Louis Petit de Bachaumont : « Grâce au malheureux goût du Siècle, le Salon ne sera plus insensiblement qu’une galerie de portraits. Ils occupent près d’un grand tiers de celui-ci ! Encore si l’on ne nous offrait que des hommes importants par leur état ou par leur célébrité, ou de jolies femmes du moins, ou des têtes remarquables par de grands caractères […]. Mais que nous importe de connaitre Madame Guesnon de Ponneuil, Madame Journu la mère, M. Dacy, M. le Normand du Coudray, Melle Gougy […], etc ».

Louis Tocqué, portraitiste renommé, rappelle aux membres de l’Académie des impératifs du genre dans une conférence prononcée en 1750, et insiste sur l’importance de ressemblance, y compris des traits « difficiles », à la différence des portraits généralement idéalisés du XVIIe siècle. Et le peintre d’évoquer aussi l’importance, afin d’appuyer ce naturalisme, de rendre la variété des corps et des décors, et bien sûr celle de la psychologie du personnage représenté.

Le portrait conservé à l’Hôtel de Lunas répond précisément à la conception du portrait de Louis Tocqué : la carnation est réaliste, le double menton est appuyé, la posture est naturelle pour un homme de sa corpulence, le ventre en avant.

L’homme porte un regard frontal sur le spectateur, se donnant à voir sans aucun contexte décoratif ou symbolique. Son magnifique habit, aux riches et chatoyantes broderies, attire d’autant plus l’attention que le ventre est bombé. Le plus singulier du portrait réside dans ce costume, entre « l’habit à la française » et le somptueux négligé. La veste est présente, mais « l’habit » n’est pas cintré, les manches sont très amples, et son revers droit se déploie anarchiquement, un peu comme une robe de chambre. Pour comparaison, le portrait de Buffon par François-Hubert Drouais, ou encore celui d’un inconnu, conservé au château de Versailles, exécuté par Louis Tocqué, arborent tous les deux une veste richement brodée et un habit cintré, et ne donnent à aucun moment l’effet de « négligé » à l’œuvre dans le portrait de Tocqué.

L’abandon des éléments contraignants de la tenue formelle dans le vestiaire masculin, et son remplacement par une robe de chambre, confortable mais luxueuse, vise à se libérer du justaucorps, plus tard nommé « veste ». La robe de chambre est une création européenne d’inspiration exotique, dérivée du kimono japonais et du caftan turc. Elle apparaît sur le marché au début du XVIIe siècle, tout d’abord aux Pays-Bas, puis se diffuse en Europe, notamment à travers l’Angleterre et la France. Les plus luxueuses des robes de chambre sont faites de toiles de coton peintes appelées « indiennes », en référence à ces tissus produits en Inde et importés par la Compagnie des Indes Orientales.

Leur succès est immédiat et conquiert l’Europe : elles sont confortables, exotiques et chères. Elles correspondent au nouveau mode de vie des élites, recherchant l’intimité aussi bien dans le vêtement que dans la création de nouveaux espaces comme le « cabinet », pièce où les gentilshommes peuvent travailler, se reposer, et recevoir des visiteurs. François Fournier de Servant est affilié à la famille Sabatier, propriétaire de l’hôtel de Lunas, mais nous ne savons rien de sa profession. Il affiche en tout cas son parfait accord avec les tendances du siècle, où un apparat décontracté est recherché.

 

François-Hubert Drouais (1727-1775), Portrait du naturaliste Georges Louis Leclerc, comte de Buffon. Huile sur toile, 103 x 69 cm. Montbard, musée Buffon © RMN-Grand Palais / Michèle Bellot

 

Louis Tocque (1696-1772), Portrait d’un inconnu. Huile sur toile, 81 x 65 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski

 

Œuvre à la loupe

 

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